Pour les participants à l’atelier à Bruxelles (Septembre 2024), j’ai rassemblé quelques liens d’initiatives locales d’enquête sur l’eau et de collectifs qui veillent à ce bien commun :
Faire pays dans un pays
Je vous soumets aussi la lecture du carnet 2 du Manuel du pays : Penser le bassin, récemment publié par les actrices et acteurs des temps présents, et que vous pouvez télécharger ici
Pays, généralités
Faire pays dans un pays est une proposition d’organisation socio-politique territoriale formulée par le front social des actrices et acteurs des temps présents. Son objectif est d’installer un autre type de légitimité en face et dans le temps de la légalité existante.
Cette proposition de faire pays dans le pays s’inscrit concrètement dans des territoires ayant au moins deux caractéristiques : ils sont formés sur base de bassins versants de ruisseaux ou de rivières et sont peuplés par des communautés d’habitantes et d’habitants comptant au plus 5000 personnes, plutôt moins, beaucoup moins.
De tels territoires composés sur base de bassins versants de ruisseaux et rivières n’ont actuellement pas de réalité administrative et ne sont pas repérables comme tels sur les cartes ordinaires. Pourtant, chacune et chacun d’entre nous habite bel et bien un bassin versant, même si nous ne le discernons pas toujours. C’est précisément pourquoi ces bassins nous fournissent l’occasion d’imaginer un territoire inédit et pourtant déjà là, organisé autour d’un bien commun naturel, l’eau, qui relie gratuitement tout ce qui est vivant, humain comme non humain et qui, progressant d’amont en aval, propose également une géographie des solidarités désirables et nécessaires.
Ceci est d’autant plus important que l’eau fait aujourd’hui l’objet de convoitise, de concurrence et de privatisation dans une perspective de raréfaction grandissante et de qualité amoindrie.
Pour pouvoir répondre à des exigences démocratiques authentiques, ces territoires demandent, selon nous, à être faiblement peuplés. A plus de 5000 personnes (et c’est déjà beaucoup), il devient en effet compliqué d’instaurer des procédures réellement démocratiques sans devoir recourir à la délégation ou à la représentation qui en sont la négation. Les territoires dont nous parlons ont donc vocation à être pleinement autogouvernés et organisés.
Le pays, ainsi dessiné et dimensionné, rassemble celles et ceux qui, sur ce territoire et dans cette population, décident de développer des alliances et des solidarités, de mettre sur pied des institutions autonomes ou des contre-dispositifs et de générer des pratiques ou des usages non digérables par le capitalisme, sur la base de la mutualisation de territoires, de temps, de moyens et de savoirs.
Pour autant, le pays ne se vit pas séparé de la légalité existante et des situations qu’elle engendre : les guerres qui sont déclarées ne lui permette donc pas de se tromper de convergences.
Penser le bassin, déclaration
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Afin de rendre sensible la proposition de faire pays dans le pays, il est proposé de bousculer le cadre référentiel de la géographie politique ordinaire - avec un État nation subdivisé en régions, provinces, départements, communes ou quoi que ce soit de ce genre - en posant une carte sur la carte, c’est-à-dire en composant des territoires constitués à partir de bassins versants de cours d’eau ;
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Nous savons évidemment que les flux collectifs ou individuels des personnes ou des biens ne sont plus liés aujourd’hui à des éléments naturels, comme des rivières ou des fleuves, mais sont guidés par d’autres types de flux – des zones de chalandise aux échanges complètement dématérialisés – et que les bassins de vie ne sont pas forcément les bassins versants des ruisseaux. C’est précisément la raison pour laquelle, en refusant de reproduire les modèles du capital et de ses flux, nous appelons à la constitution de communautés de dessein et non pas de destin que nous appelons pays.
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Nous pensons en effet que les territoires « bassins versants » sont plus à même de proposer des territoires « biens communs » que les territoires « flux » destinés à l’accélération des échanges des biens ou à la circulation des personnes ou que les territoires « produits » consacrés au productivisme et à l’extractivisme (1), d’autant plus que les bassins versants n’appartiennent (presque plus) à aucune lecture ou pratique sociopolitique du territoire.
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Si nous estimons que les bassins versants figurent une possibilité politique non négligeable, c’est aussi parce que l’eau recèle des enjeux qui questionnent non seulement ce qui est vivant, mais aussi ce qui est à vivre. L’eau est à l’origine de la vie sur terre. Elle est ce qui relie fondamentalement tous les êtres vivants et ce qui compose l’édifice de leur environnement. Qualité et quantité d’eau disponibles régissent l’atmosphère, influent sur le climat, régulent le réchauffement. Aujourd’hui, son altération, voire sa destruction, sa marchandisation et sa valeur spéculative la place en bon rang parmi les éléments en voie de raréfaction donc en voie de renchérissement. Mais si elle a été enrôlée par le capital, elle est aussi ce qui lui résiste le mieux. Elle est imprévisible et insaisissable. Elle ne se laisse pas amadouer, modéliser. Son ruissellement n’a rien de capitaliste, son infiltration rien de policier. Elle va où bon lui semble. Elle s’infiltre dans la moindre fissure et se fraie un nouveau chemin, s’enterre ou apparaît sans crier gare. Elle ruisselle et relie, elle est fluide, on pense la saisir et elle n’est déjà plus là. Elle n’a cure des frontières. Elle préfère dessiner ses propres bassins, un vaste réseau interconnecté où le plus petit ruisselet deviendra océan.
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La proposition de dessiner des territoires à partir de l’eau entre évidemment en résonance directe avec la question environnementale ainsi qu’avec la pratique des communs ; elle permet aussi de dépasser le cadre d’une identité locale pour lui préférer l’idée d’engagements territoriaux ;
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Nous ne parlons pas d’identité locale mais bien d’engagements territoriaux afin de souligner qu’il n’existe aucune sorte de déterminisme géographique et que la présence de ruisseaux, de rivières ou de fleuves n’est pour nous conductrice d’aucune sorte d’identité que ce soit : c’est bien parce que nous pensons que le ruisseau, la rivière ou le fleuve ainsi que leur écologie humaine et non humaine sont capables de façonner un espace commun, non capitaliste, solidaire et égalitaire que nous parlons d’engagements territoriaux.
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Nous parlons également d’engagements territoriaux afin d’évoquer les indispensables solidarités mettant en jeu l’amont et l’aval de ces territoires versants. Ces solidarités de bassins versants (2) concernent tant des aspects concrets, comme des inondations ou des pollutions, que des aspects plus immatériels que porte l’idée d’amont et d’aval. Elles sont le symbole très concret de la chaîne de co-responsabilités dont dépendent l’humain et le non humain, laissant clairement apparaître le lien qui va des causes aux conséquences. En cela, les cours d’eau sont des sujets politiques de première importance aussi en ce qu’ils nous confrontent au cours du temps et à ses usages ;
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Nous parlons enfin d’engagements territoriaux pour ce qui est de la préservation de l’écologie et de l’économie de ces cours d’eau. Il est certes question de veiller au débit et à la qualité des eaux, mais également d’assurer la gratuité de ces flux et leur maintien hors du marché. Enfin, il n’est pas inutile de répéter que, pour nous, ces communautés de ruisseaux ou de rivières que nous appelons des pays, embarquent dans un même mouvement l’humain et le non humain, le déjà vivant, l’encore vivant et le vivant à devenir ;
- L’eau que nous évoquons est le plus souvent une eau de ruisseau constituant la trame d’un grand bassin versant fluvial. Ce bassin accueille plusieurs centaines de pays associés, interconnectés et fédérés constituant au final un écosystème commun et de communs.
Notes et références
1 L’occupation des ronds-points routiers par les Gilets jaunes est venue modérer un peu cette hypothèse sans pour autant l’invalider.
2 La notion de solidarité de bassins versants provient de Dominique Nalpas et de l’association bruxelloise Brusseau : Solidarité de bassin versant – Brusseau