Polluer, c'est colloniser. Enquêter sur les eaux, c'est se confronter aux colonisations

Des suites de Rennes : Prélèvements de microplastiques en Vilaine et autres analyses, nous démarrons ici un travail d’approche réflexive.

« Polluer, c’est coloniser » décrit Max Liboiron du CLEAR Lab.

S’il existe différents types de colonialisme – le colonialisme de peuplement, le colonialisme d’extraction, le colonialisme interne, le colonialisme externe, le néo-impérialisme – ils ont tous des aspects communs. Le colonialisme est un terme utilisé pour décrire des relations caractérisées par la conquête et le génocide qui garantit aux colons et aux institutions coloniales « l’accès perpétuel de l’État aux territoires et aux ressources qui, de façon contradictoire, assurent la survie matérielle et spirituelle des sociétés autochtones, d’une part, et permettent la formation d’un État colonial, son peuplement et son développement capitaliste, d’autre part4 ».

Dans Notes lors de rencontres sur l’extractivisme en Saône-et-Loire (France), nous avions :

Pour Liboiron,

Confondre colonialisme et capitalisme revient à perdre de vue des relations cruciales, au rang desquelles on compte aussi, d’après Glen Coulthard, la suprématie blanche et le patriarcat. Aileen Moreton-Robinson (Geonpul, Première Nation Quandamooka) a montré qu’un tel amalgame faisait l’impasse sur les formations raciales et le racisme 32. Pour des penseurs tels que Tuck et Yang, l’homogénéisation de « diverses expériences d’oppression sous le nom de colonisation » – autrement dit, l’assimilation au colonialisme de l’impérialisme, du racisme, du capitalisme, de l’exclusion et de tout mauvais comportement en général – constitue « une forme d’enclosure, dangereuse en ce qu’elle domestique la décolonisation. C’est également une procédure de saisie restreignante, par sa manière de récapituler les théories dominantes de la transformation sociale 33 ».

Polluer, c'est coloniser · Terrestres

Dans le cas de la pollution, une approche centrée sur le capitalisme ne prend pas en compte les relations qui font que la Terre est d’emblée considérée comme disponible pour accueillir la pollution.

En très grand nombre s’accorde sur le fait que la pollution est un problème sanitaire et écologique majeur. Mais personne ne sait dépolluer les sols et les eaux.
Pourtant, on fait comme si c’était techniquement possible.
Après tout, est-ce bien nécessaire ? Ne peut-on pas s’accommoder d’un peu (ou beaucoup) de pollution ? La dépollution à ses sciences, ses institutions… et son business

Certains groupes utilisent les déchets (discard studies, d’où vient Max Liboiron) pour « saboter » le cours normal des choses dans des infrastructures et ainsi réclamer leur droit à la parole dans la gestion politique de vies et des villes.
Voir Bouju, J. (2009)[1]:

  • Cas n° 1 - Une approche critique : la résistance des ordures ménagères à Alger (Algérie)
  • Cas n° 2 et n° 3 - Deux approches anthropologiques de l’assainissement à
    Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

Aussi, nous savons que les déchets plastiques, notamment en mer, sont un habitat pour de nombreuses espèces[2].

Mener des enquêtes sur les eaux c’est porter des regards, des points de vues, par les débats, les analyses, les témoignages, là où se concentre les conséquences des activités humaines et non humaines − avec les problèmes de classements des origines de polluants anthropogéniques et non anthropogéniques.

C’est faire face depuis l’intérieur et par la pratique aux arrangements de pouvoir et d’autorité dans les associations humaines ainsi que les activités qui se déroulent dans le cadre de ces arrangements.

C’est se confronter aux agencements du capitalisme et à ceux du colonialisme mis en traces dans les eaux.

Se positionner et agir dans les enquêtes sur les eaux se fait alors dans l’existence de risques de reproduire dans les enquêtes elles-mêmes « une optique conforme aux visées de la colonisation et de l’occupation » (Liboiron). C’est à dire, du risque de perpétuer et de véhiculer les structures de domination et le fonctionnement du colonialisme.

L’écologie omet généralement de penser le colonialisme, et a tendance à le reproduire

Polluer, c'est coloniser · Terrestres

Ici et maintenant, nous ne sommes qu’à l’ébauche d’un long travail nécessaire pour nous sortir d’une mentalité mortifère.

Voir aussi:

“9 Antillais·es sur 10 ont du chlordécone dans le sang. Dans « S’aimer la Terre », Malcom Ferdinand raconte l’histoire hautement toxique et profondément coloniale de ce pesticide associé à la culture de la banane”

La bananisation des Antilles, histoire d'une colonisation agricole · Terrestres

Notes et références


  1. Bouju, J. (2009) . Chapitre 5. L’assainissement et la gouvernance urbaine. Dans Atlani-Duault, L. et Vidal, L. (dir.), Anthropologie de l’aide humanitaire et du développement Des pratiques aux savoirs, des savoirs aux pratiques. ( p. 123 -154 ). Armand Colin. Chapitre 5. L’assainissement et la gouvernance urbaine | Cairn.info. ↩︎

  2. Monsaingeon, B. (2021) . Un monde (en) plastique ? Une histoire de continents imaginaires. Monde commun, N° 5(2), 66-79. Un monde (en) plastique ? | Cairn.info. ↩︎