Dans le cadre de sa campagne contre l’extractivisme, l’association écologiste Génération Lumière, basée à Lyon et agissant dans la région des Grands Lacs en RDC, a marché de Besançon à Strasbourg, du 22 juin au 16 juillet 2024. Elle s’est achevée par le dépôt d’une proposition de résolution au Parlement Européen. Les enjeux soulevés étant proches de ceux portés par hack2o et plus largement par l’ASBL petites singularités (p.s.: ), il nous a semblé important de créer ce pont.
Retour sur la marche
Partie de Besançon le 22 juin 2024, la marche contre l’extractivisme et le colonialisme est arrivée à Strasbourg samedi 13 juillet, a rejoint le bal des sans-papiers et s’est terminée au parlement européen le 16 juillet afin d’y déposer une proposition de résolution pour “dénoncer et revendiquer la fin des accords militaires et commerciaux (notamment sur la chaîne d’approvisionnement) hypocrites entre l’UE et les pays publiquement condamnés d’appui aux groupes armés” et " demander […] aux autorités compétentes d’élaborer de nouveaux plans de transition visant à réduire la demande et la production de matériaux bruts vierges pour les remplacer progressivement par des matériaux récupérés, réutilisés et recyclés, parallèlement à la recherche de matériaux de substitution durables."
La mobilisation est à l’initative de Génération Lumière, association d’écologie décoloniale, et a été organisée en lien avec de nombreuses autres structures ou collectifs sur la route. Parmi elles, l’Observatoire Terre-Monde, “Centre d’étude des écologies politiques des Outre-mer français et de leurs proches régions” et des associations locales des diaporas notamment congolaises et kanak. Depuis 2024, l’OTM a commencé la publication de Plurivers, une revue d’écologies décoloniales chez les Éditions du Commun.
Contre les revers de la transition énergétique
L’un des enjeux soulevés par les différentes interventions est celui de la transition énergétique. Telle que promue par l’industrie technologique, celle-ci vise notamment à l’électrification massive, notamment des transports et, en particulier, de la voiture. Sujet bien connu par les Congolais, dont la population et le territoire ont été justement décimé pour l’exploitation du caoutchouc utilisé pour le développement de l’industrie automobile au XXème siècle[1]. Aujourd’hui, la voiture électrique suppose une exploitation massive de terres rares, pour ne pas dire de minerais de sang, pour la fabrication de ses composants électroniques[2] à l’instar de nos smartphones, ordinateurs et autres. Ce sujet compte beacoup pour p.s.:, notamment tel qu’il a pu être abordé dans la nouvelle Des mine(rai)s qui ne font pas le(ur) poids de *Présents Suspendus.
Plus largement, les fillières de “l’énergie verte” du monde (basées pour l’essentiel dans les grandes puissances impérialistes, états-uniennes, européennes ou chinoises) cherchent à maximiser leur rentabilité par l’implantation de mines là où la main d’œuvre est la plus vulnérable. Une quête qui poursuit la tendance des investisseurs à pratiquer ou favoriser des dynamiques coloniales par la corruption et la déstabilisation politique, les pillages, les guerres civiles ou les milices armées, les violences sexuelles voire les génocides. C’est ainsi que la RDC déplore plus de 6 millions de morts depuis 1996, en extension du génocide des Tutsis au Rwanda à l’Ouest, dans la région du Kivu[3].
L’eau au centre de l’écologie décoloniale
Moins chères que les fillières de recyclage et de réparation, les mines requièrent d’astronomiques volumes d’eau pour l’extraction de coltan, de cuivre, d’or, de nickel, de lithium, de néodyme, de cobalt, d’étain, de tantale ou de tungstène. Cette question est particulièrement sensible dans les régions qui connaissent des sécheresses de plus en plus fréquentes. Des sécheresses qui vont parfois jusqu’à mettre à l’arrêt les mines elles-mêmes comme au Chili[4].
L’eau utilisée est ensuite polluée aux nombreux produits chimiques nécessaires pour la séparation des métaux. Cette contamination concerne également les zones humides dont les aquifères reçoivent en retour des eaux riches en composés toxiques.[5] De grandes concentrations de mercure sont par exemple employées dans les sites d’orpaillage clandestin[6]. Il en est ainsi de l’arsenic près des exploitations de cobalt, d’or, de plomb, de nickel ou de zinc[7] au Bengladesh, en Argentine ou au Chili, entre autres.
La place du hacking dans l’écologie décoloniale
Avec toutes ces préoccupations en tête, j’ai personnellement rejoint la mobilisation pour la soutenir et représenter le mouvement hacker décolonial, au nom de Hackstub et des petites singularités. J’ai profité d’un tour de parole pour présenter les pratiques que l’on partage localement et à travers le monde, autant dans les pays colonisateurs que dans les pays colonisés. En considérant internet comme la plus vaste infrastructure du monde et de l’histoire de l’humanité, et en sachant que les pays colonisateurs envoient massivement des déchets électroniques dans les pays colonisés, l’interconnexion des luttes décoloniales et hacker y fait tout son sens pour corriger cette logique et partager les ressources existantes équitablement.
Par ailleurs, les pratiques d’autoréparation et du logiciel libre s’opposent à l’obsolescence programmée et réduisent l’extractivisme géologique. D’un autre côté, l’autohébergement, les réseaux décentralisés et le chiffrement résiste à l’impérialisme colonial et l’extractivisme numérique : celui des plateformes commerciales qui alimentent notre dépendance pour extraire un maximum de données à caractère autant personnel que collectif et ainsi renforcer leur emprise sur le monde.
J’ai donc conclu ma participation en apologie de la piraterie par un encouragement à venir se réapproprier collectivement ses machines et usages numériques en se rapprochant de son hackerspace local. J’ai cependant oublié de mentionner l’importance des démarches d’enquête, d’investigation et de documentation pour faire progresser la lutte pour un accès universel à une eau de meilleure qualité. Autrement dit, la raison d’être de hack2o ! Des ponts restent donc à créer entre nos structures à l’avenir.
PS: Je le concevais comme une évidence mais, à la relecture, je me dis qu’il vaut mieux préciser quelque chose. La “transition énergétique” que je critique ici est plus exactement une “superposition énergétique” au sens où son acception industrielle favorise tout de même un accroissement de la demande plutôt qu’une réduction de la consommation. Une réelle transition énergétique doit s’accompagner d’un ensemble de mesures visant à réduire toutes les formes de pollution, d’extraction, d’exploitation en général. Il n’y a qu’ainsi qu’une sortie du pétrole peut être envisagée de manière sérieuse et souhaitable.
https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/371954/congo-belge-caoutchouc-roi-leopold ↩︎
Batteries électriques : les forçats du « cobalt de sang » congolais ↩︎
A guide to the decades-long conflict in DR Congo | News | Al Jazeera ↩︎
Les mines de cuivre au Chili, premières victimes du manque d'eau | Les Echos ↩︎
Exploitation minière et la pollution de l’eau — Safe Drinking Water Foundation ↩︎
Arsenic Toxicity: Where is Arsenic Found? | Environmental Medicine | ATSDR ↩︎